
Alors que le financement des entreprises industrielles marocaines devient un enjeu clé pour soutenir la compétitivité, la Bourse de Casablanca se positionne comme une alternative stratégique. Dans cette optique, une conférence-débat dédiée au secteur agroalimentaire a réuni le 31 janvier à Rabat, les plus grands dirigeants du ministère de l’Industrie et du Commerce, de la CGEM, de l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux (AMMC) et de la Bourse de Casablanca et a connu la signature d’un accord structurant pour ce secteur d’activités. Cet accord vise à faciliter l’accès des entreprises industrielles au marché boursier et à stimuler leur croissance.
Au cours de cet événement, les acteurs économiques et financiers ont exploré les opportunités qu’offre le marché boursier pour accélérer la transformation et l’expansion des entreprises. C’est ainsi que Dari Couspate, Mutandis, Cosumar, et Cartier Saada, entreprises déjà cotées, ont partagé leur expérience et montré comment la cotation a renforcé leur développement, aussi bien au niveau du financement que de la gouvernance et de l’internationalisation.
Face aux défis de compétitivité et de croissance, l’accès au marché boursier s’impose comme une alternative stratégique pour les entreprises industrielles marocaines. En offrant des solutions de financement adaptées, la Bourse de Casablanca joue un rôle clé dans le développement des investissements, l’optimisation de la gouvernance et l’expansion à l’international.
Si certaines entreprises ont déjà franchi le pas, d’autres hésitent encore, freinées par un manque d’information ou par des préjugés sur la complexité du marché boursier. Sensibiliser les acteurs économiques aux bénéfices de la cotation devient alors un enjeu majeur pour accélérer la transformation du tissu industriel.
Bourse et industrie : un partenariat pour l’avenir

Un accord structurant facilitant l’accès des entreprises industrielles marocaines au marché boursier a été signé le 31 janvier 2025, entre le ministère de l’Industrie et du Commerce, la CGEM, l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux (AMMC) et la Bourse de Casablanca. Cet accord vise à encourager les acteurs du secteur industriel à saisir les opportunités de financement offertes par la Bourse, un levier clé pour renforcer la compétitivité des entreprises et stimuler la croissance économique.
« Le financement de l’industrie nationale par le marché boursier soutient la croissance des secteurs stratégiques, favorise l’essor de nouvelles industries et génère des emplois », a souligné Ryad Mezzour, ministre de l’Industrie et du Commerce. Il a insisté sur le rôle structurant de cet accord dans la vision industrielle portée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, et sur l’importance du partenariat public-privé pour dynamiser l’économie nationale.
L’initiative ne concerne pas uniquement les grandes entreprises. Pour Chakib Alj, Président de la CGEM, « Contrairement aux idées reçues, la Bourse n’est pas réservée aux grandes entreprises. Elle est un véritable catalyseur de croissance pour les PME, en améliorant leur gouvernance et en facilitant leur transmission ». Il a souligné que les entreprises introduites en Bourse enregistrent une croissance moyenne annuelle de 11% de leur chiffre d’affaires, un atout de taille pour le secteur agroalimentaire, qui représente 6% de la capitalisation boursière de la Bourse de Casablanca avec 7 entreprises cotées.
De son côté, Tarik Senhaji, Directeur Général de la Bourse de Casablanca, a insisté sur l’attractivité croissante du marché boursier marocain, illustrée par ses performances exceptionnelles et son potentiel pour structurer le financement des entreprises. « À travers cette convention bénéficiant d’un soutien institutionnel fort, nous renforçons notre collaboration avec l’industrie marocaine en mettant à sa disposition tous les outils nécessaires pour accompagner davantage d’entreprises vers la cotation », a-t-il déclaré.
En marge de cette signature, un second protocole d’accord a été conclu entre la Bourse de Casablanca, la FENAGRI et la FENIP, afin d’accompagner les entreprises de l’agroalimentaire et de la valorisation des produits de la pêche dans leur démarche de financement boursier.
Avec 2 000 entreprises, 207 000 emplois et un chiffre d’affaires de plus de 185 milliards de dirhams en 2022, le secteur agroalimentaire représente un fort potentiel de développement, aussi bien pour satisfaire les besoins nationaux que pour dynamiser les exportations marocaines. Ses performances en 2023, avec 43 milliards de dirhams d’exportations, en feraient un acteur clé du marché boursier, où il pourrait bénéficier d’un accès facilité au financement grâce à ces initiatives.
Avec ce partenariat structurant, les acteurs publics et privés ambitionnent d’accélérer la croissance des entreprises industrielles marocaines en leur offrant un accès privilégié aux opportunités offertes par la Bourse de Casablanca, dans une dynamique de croissance durable et d’internationalisation.
FENAGRI : la bourse, un levier stratégique pour l’agro-industrie

L’agro-industrie occupe une place stratégique dans l’économie nationale, en assurant à la fois la sécurité alimentaire et en générant une valeur ajoutée importante. « Ce secteur joue un rôle central dans la satisfaction des besoins alimentaires de notre population et contribue significativement à la croissance économique du pays », souligne M. Abdelmounim El Eulj, président de la Fédération nationale de l’agroalimentaire (FENAGRI).
Toutefois, le développement de ce secteur repose sur des financements adaptés. « Pour maintenir et renforcer cette dynamique, il est impératif que les entreprises, quelle que soit leur taille, puissent bénéficier d’un financement suffisant et structuré », insiste-t-il. Un accès facilité aux ressources financières est essentiel pour relever les défis du marché local, accélérer l’expansion internationale et répondre aux exigences croissantes du secteur.
Dans cette perspective, la Bourse constitue un levier stratégique. « Elle offre aux entreprises les moyens nécessaires pour se structurer, innover et se projeter vers l’avenir », explique M. El Eulj. Un accès plus large au marché boursier permettrait ainsi aux acteurs de l’agro-industrie de renforcer leur compétitivité et d’assurer une croissance durable.
Dari et la Bourse : d’un choix incertain à un succès structurant

Initialement perçue comme un domaine réservé aux grandes entreprises, la Bourse est devenue un levier clé pour la croissance de Dari. M. Hassan Khalil, directeur général de Dari Couspate, est revenu sur cette expérience déterminante.
« Cette opération n’était en aucun cas préméditée », confie-t-il. L’entreprise familiale, fondée par son père, envisageait à l’origine un développement classique, avec un éventuel recours à un fonds d’investissement ou une cession. Mais une rencontre avec une banque d’affaires a bouleversé cette trajectoire. « Nous avons immédiatement rejeté l’idée de la Bourse, la jugeant trop complexe et inadaptée à notre structure », se souvient-il.
Cependant, le fondateur de l’entreprise a rapidement perçu les opportunités qu’offrait la cotation. « Mon père a compris immédiatement l’intérêt de cette démarche et a réussi à nous convaincre », explique M. Hassan Khalil. Le processus a été rapide : Dari est entrée en Bourse en juin 2005, soit à peine huit mois après la prise de décision.
Le passage par la Bourse a permis à Dari de financer son expansion sans recourir à l’endettement. « Nous souhaitions construire une nouvelle usine sans contracter de dettes. La Bourse s’est alors imposée comme une solution idéale, avec des coûts très réduits », affirme-t-il.
L’impact ne s’est pas limité au financement. La cotation a également renforcé la confiance des consommateurs. « Lorsque vous êtes une marque et que vos clients sont aussi actionnaires, cela crée une dynamique positive, renforçant la fidélité et la transparence », souligne M. Khalil.
Sur le plan international, cette décision s’est révélée stratégique. « Quand nous avons acquis notre usine en Belgique, être cotés en Bourse au Maroc a ouvert toutes les portes, tant auprès des banques qu’auprès des autorités locales », témoigne Hassan Khalil.
L’introduction en Bourse a aussi conduit l’entreprise à adopter des standards de gouvernance plus stricts. « Nous avons dû nous conformer aux règles de l’AMMC, ce qui nous a amenés à recruter des administrateurs indépendants », explique-t-il. Un choix structurant qui a enrichi la vision stratégique de Dari.
Avec du recul, M. Hassan Khalil estime que le courage a été l’élément décisif. « Accepter d’aller vers plus de transparence et devenir une société publique a été un acte audacieux, mais aujourd’hui, nous en récoltons tous les bénéfices », conclut-il.
Mutandis : une entreprise pensée pour la bourse dès sa création

« La Bourse est le moyen d’une ambition. » C’est par ces mots que M. Adil Douiri, fondateur et président de Mutandis, a introduit son témoignage. Il a ainsi souligné le rôle clé de la cotation en Bourse dans le développement et la structuration de son entreprise, rappelant que Mutandis a été conçue dès sa création en 2008 pour être cotée en Bourse. Ce choix stratégique s’est imposé comme un moyen incontournable pour financer son ambition et structurer son expansion.
Ne disposant pas d’un patrimoine personnel suffisant pour bâtir une entreprise de plusieurs milliards de dirhams, M. Douiri a dû convaincre des investisseurs de le suivre dès le départ, constituant ainsi un tour de table solide dès la création de Mutandis. Cette approche a permis à l’entreprise d’adopter une stratégie d’acquisitions dans quatre secteurs clés : l’hygiène, l’agroalimentaire, les produits de la mer et l’emballage.
L’introduction en Bourse en 2018 a marqué un tournant décisif, offrant à Mutandis 200 millions de dirhams supplémentaires pour accélérer son expansion. « Nous avons pu changer d’échelle et investir massivement dans des projets Greenfield, en construisant nos propres usines et en lançant de nouvelles marques », détaille-t-il. Cette levée de fonds a permis à Mutandis d’entamer une nouvelle phase de développement, passant progressivement d’une logique d’acquisitions à la construction d’infrastructures et à l’innovation produit.
L’un des défis majeurs pour Mutandis a été l’accès direct aux consommateurs finaux à l’étranger, notamment sur les marchés complexes comme les États-Unis. « Au Maroc, nous maîtrisons l’accès aux épiciers, mais aux États-Unis, le défi était différent », explique le fondateur.
Pour accélérer son implantation, Mutandis a fait l’acquisition d’une marque américaine en 2021, lui permettant d’accéder rapidement aux supermarchés et hypermarchés américains. « Grâce à la Bourse, nous avons pu financer cette acquisition et franchir une étape décisive dans notre développement international », souligne-t-il. Aujourd’hui, 25 % du chiffre d’affaires de Mutandis provient du marché américain, un segment stratégique qui continue de croître.
Depuis sa création, Mutandis a levé près d’un milliard de dirhams, dont 500 millions à travers la Bourse, tout en redistribuant 600 millions de dividendes à ses actionnaires. « Nous avons prouvé que la Bourse est un levier puissant non seulement pour lever des fonds, mais aussi pour structurer la gouvernance, renforcer la transparence et améliorer la valorisation des entreprises », affirme M. Douiri.
L’entreprise ne compte pas s’arrêter là. « Nous allons continuer à lever des fonds et à doubler de taille tous les cinq ou six ans en nous appuyant sur ce formidable mécanisme de financement », annonce-t-il. Avec 11 usines, une présence dans 50 pays et un chiffre d’affaires de 2,5 milliards de dirhams, Mutandis illustre comment la Bourse peut propulser une entreprise marocaine vers une croissance soutenue et une expansion internationale maîtrisée
Cosumar : une ambition export renforcée par la dynamique boursière

Dans un contexte où la Bourse de Casablanca s’impose comme un levier de financement structurant pour l’agro-industrie, Cosumar accélère son expansion internationale. Coté depuis 40 ans, le leader du sucre au Maroc entend porter ses exportations à 1 million de tonnes, contre une moyenne actuelle de 650 000 tonnes, a annoncé M. Hassan Mounir, directeur général du groupe.
Avec 80 000 producteurs répartis sur cinq régions et près de 5 millions de tonnes de plantes sucrières transportées chaque année, Cosumar s’impose comme un acteur majeur du secteur. « Nous disposons d’un outil de production parmi les plus imposants au monde dans notre secteur », affirme M. Hassan Mounir.
Dans sa stratégie de croissance, le groupe a su tirer parti des opportunités offertes par la Bourse pour structurer son financement et attirer des investisseurs stratégiques, notamment Sucden, acteur français majeur du secteur, qui a intégré son capital en 2023. Ce partenariat a renforcé sa capacité à explorer de nouveaux marchés, notamment les États-Unis, où la demande en sucre blanc raffiné reste forte.
Sur le plan boursier, Cosumar bénéficie d’une forte attractivité auprès des investisseurs nationaux et internationaux, grâce à ses fondamentaux solides et son statut de valeur de rendement. Malgré un contexte marqué par le stress hydrique et les défis liés à la gestion des ressources en eau, l’entreprise continue d’afficher des performances solides.
« Malgré ces contraintes, nous avons su rester rentables et attractifs », souligne M. Mounir, tout en laissant entendre que le recours à la Bourse pourrait être envisagé pour financer ses futurs projets d’expansion.
L’ascension de cartier Saada en bourse : de 60 à 250 millions de dirhams

Acteur historique du secteur agroalimentaire, Cartier Saada a connu une transformation stratégique depuis son introduction en Bourse en 2006. Fondée en 1947, l’entreprise, historiquement familiale, a choisi la cotation pour structurer son financement et accélérer son développement international.
« À l’époque, nous avions plusieurs options : recourir aux banques, faire appel à des investisseurs privés ou entrer en Bourse. La cotation nous a offert un cadre de gouvernance solide, avec des organes de gestion, de transparence et des comités stratégiques », explique M. Hicham Meziane, directeur général adjoint de Cartier Saada. Cette décision a permis à Cartier Saada de lever 22,2 millions de dirhams, un tournant décisif pour son expansion.
Grâce à ce financement, le chiffre d’affaires de l’entreprise est passé de 60 millions de dirhams en 2006 à 250 millions aujourd’hui. « Ce fut un véritable bond en avant. Nous sommes passés de quelques marchés à une présence dans plus de trente pays », souligne M. Hicham Meziane.
Au-delà de l’aspect financier, l’entrée en Bourse a consolidé la crédibilité de l’entreprise sur la scène internationale. « Être coté change la nature des discussions. La confiance s’installe plus rapidement, ce qui fluidifie la mise en place de partenariats stratégiques », explique-t-il.
L’arrivée en 2019 d’un nouvel actionnaire américain, détenant 10 % du capital, a permis à Cartier Saada d’accéder au marché américain, premier importateur mondial d’olives de table. « Grâce à ce partenariat, nous avons pu franchir un cap dans notre développement international et multiplier notre chiffre d’affaires », conclut-il.
Financement agroalimentaire : la Bourse moteur de croissance

De son côté, Brahim Benjelloun Touimi, nouveau président du Conseil d’Administration de la Bourse de Casablanca, a mis en avant le rôle stratégique du marché boursier dans le financement et le développement des entreprises du secteur.
« La Bourse de Casablanca est une plateforme ouverte et accessible, offrant des opportunités uniques aux entreprises marocaines », a-t-il affirmé, rappelant que son rôle ne se limite pas à la levée de fonds. Elle représente un véritable levier d’institutionnalisation et de gouvernance, en favorisant la transparence financière, la présence d’administrateurs indépendants et une structuration plus pérenne des entreprises.
Pour Brahim Benjelloun Touimi, le défi est d’intensifier l’investissement dans les industries agroalimentaires, d’encourager l’innovation et de mobiliser davantage l’épargne à travers le marché financier. Il a insisté sur l’importance de transformer les industries agroalimentaires en entreprises à forte valeur ajoutée, capables de s’intégrer pleinement dans les chaînes de valeur régionales et internationales.
En clôture de la conférence, il a lancé un appel à la mobilisation de toutes les parties prenantes, soulignant que « financer un agrobusiness résilient, ouvert à l’international et en croissance durable » est une priorité pour l’avenir de l’industrie marocaine.