« La souveraineté semencière est au cœur de la souveraineté alimentaire. Notre objectif est d’augmenter l’utilisation des semences certifiées à 40 % d’ici 2030, avec une contribution de 50 % de la semence nationale. »
« L’INRA a lancé le projet du Centre National des Ressources Génétiques, dont l’ouverture est prévue en 2026. Ce centre assurera la conservation, la sécurisation et la valorisation des ressources végétales, animales et microbiennes. Il deviendra un pôle d’excellence scientifique et d’innovation au service de la durabilité agricole. »
Souveraineté semencière, variétés résilientes, irrigation de précision : la compétitivité agricole marocaine se joue désormais autant dans les laboratoires que dans les champs. À la tête de l’INRA, le Pr Lamiae Ghaouti pilote les chantiers Recherche-Développement-Innovation, allant de la modernisation de la banque nationale de gènes au déploiement de kits d’humidité du sol à faible coût, en passant par la création variétale adaptée aux stress climatiques. Dans cet entretien, elle identifie les leviers pour produire mieux avec moins d’eau, renforcer la sécurité alimentaire et consolider la souveraineté des filières.
Comment percevez-vous la situation de l’agriculture dans le monde et au Maroc dans le contexte économique, environnemental et climatique actuel de votre point de vue scientifique ?
L’agriculture mondiale et marocaine subit de fortes pressions économiques, environnementales et climatiques. Le changement climatique intensifie ces contraintes : la température moyenne au Maroc a augmenté d’environ 1,2 °C depuis les années 1960, et pourrait atteindre +2 °C à +3 °C d’ici 2050 selon les données du GIEC. Les précipitations enregistrent une baisse de 10 à 20 %, tandis que la fréquence des sécheresses sévères a été multipliée par trois en trente ans.
Le volume d’eau disponible par habitant, limité à 620 m³/an, place le pays en situation de stress hydrique élevé. Le taux de remplissage des barrages est passé de 61,1 % à 29,1 % entre 2018 et 2023. Des rapports scientifiques indiquent que le coût de la dégradation environnementale est estimé à 32,5 milliards DH, soit 3,52 % du PIB, et qu’environ 40 % du territoire est touché par l’érosion des sols, atteignant plus de 2 000 t/km²/an dans certaines zones du Rif
La guerre en Ukraine et la sécheresse prolongée ont amplifié la volatilité des marchés agricoles et énergétiques, provoquant une hausse des prix du blé, du carburant (jusqu’à 14 DH/litre contre 9 avant Covid-19) et de l’huile d’olive (jusqu’à 120 DH/litre), accentuant la vulnérabilité alimentaire et énergétique du Maroc.
Sa Majesté le Roi Mohammed VI a tracé une vision stratégique durable à travers le Plan Maroc Vert et la stratégie Génération Green 2020-2030, et a placé l’agriculture au cœur de la souveraineté alimentaire, de la justice territoriale et de la transition vers des modèles productifs résilients et inclusifs.
La feuille de route “Recherche-Développement-Innovation” (RDI) dans le cadre de la Génération Green constitue l’outil de mise en œuvre scientifique de cette vision. L’INRA, institution nationale de référence, pilote cet effort en mobilisant ses plateformes expérimentales, centres régionaux et partenariats pour générer des solutions adaptées aux territoires, valoriser la ressource en eau, préserver les écosystèmes et renforcer la sécurité alimentaire du pays. Aujourd’hui la complexité de l’équation de la productivité agricole émane de l’intégration de la composante de la résilience et de la durabilité économique, environnementale et sociale. Elle suppose donc une transformation des systèmes agricoles et alimentaires où la RD-I est le facteur clé de la réussite de cette transformation.
Quels sont les grands axes de recherche et développement identifiés et lesquels sont aujourd’hui prioritaires pour l’INRA pour accompagner l’agriculture et l’agro-alimentaire marocains face au changement climatique et à la raréfaction de l’eau ?
Face aux défis du changement climatique, de la raréfaction des ressources naturelles et de l’évolution rapide des technologies et des marchés, l’INRA oriente actuellement sa recherche vers une agriculture plus résiliente, durable et innovante, en phase avec la stratégie nationale « Génération Green 2020-2030 ».
Pour relever ces défis, l’INRA a lancé un ensemble de Programmes de Recherche à Moyen Terme (PRMT) dynamiques et évolutifs sur une durée de trois à quatre années. Le PRMT 2025-2028 a été construit à travers des ateliers régionaux impliquant nos partenaires et consolidant les acquis des résultats de recherche des programmes précédents. Ce nouveau PRMT est basé sur quinze programmes qui adressent des thématiques transversales et horizontales et qui sont organisés en cinq pôle distincts hiérarchisés et interconnectés.
- Conservation des ressources génétiques
- Développement des filières stratégiques
- Qualité et Valorisation
- Transformation des systèmes de production durables incluant les agricultures alternatives : Agriculture de conservation, biologique, agro-écologie et agriculture digitale.
- Diffusion et transfert des innovations. La finalité est de mettre la recherche au service d’une agriculture marocaine durable, compétitive et adaptée aux changements globaux.
Les trois premiers pôles concernent les chaînes de valeur de l’amont à l’aval et les deux derniers sont transverses.
Quelles innovations concrètes, issues de vos laboratoires ou stations expérimentales, ont déjà été transférées vers les agriculteurs et les industriels ?
L’INRA a développé et transféré plusieurs innovations concrètes notamment concernant :
– La conservation des ressources génétiques : l’INRA a créé en 2003 une banque de gènes végétale au Centre de Settat, qui abrite actuellement plus de 76 000 accessions atteignant ainsi sa capacité limite. Face à cette situation, l’INRA a lancé en 2020 le projet du Centre National des Ressources Génétiques (CNRG) dont l’ouverture est prévue en 2026. Ce centre assurera la conservation, la sécurisation et la valorisation des ressources végétales, animales et microbiennes. Il pilotera un programme national axé sur la collecte, la caractérisation, le pré-breeding et le séquençage des génomes, au service de la durabilité agricole.
– Le développement de nouvelles variétés : Le portefeuille de l’INRA compte plus de 380 variétés. De nouvelles variétés sont régulièrement inscrites et leur diffusion aux agriculteurs est essentielle pour permettre l’exploitation du gain génétique et l’amélioration de leurs performances. Depuis 2020, l’INRA a inscrit 26 variétés toutes espèces confondues, avec pour objectif d’atteindre 50 variétés à l’horizon 2030. Ces variétés allient résilience, productivité et qualité technologique.
Exemple de succès, les variétés Menara et Haouzia dans la filière olivier, comptent plus de 2 millions de pieds plantés. En agrumiculture, c’est la NadorCott, développée par l’INRA, qui a acté son succès aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. C’est le premier agrume en termes d’exportation du Maroc. Pour la filière cactus, l’INRA a enregistré la création variétale de huit variétés résistantes à la cochenille.
– Les pratiques agricoles durables : C’est notamment la diffusion des recommandations en agroforesterie, semis direct, rotation des cultures, fertilisation raisonnée, gestion intégrée des sols ainsi que l’irrigation et la gestion des stress biotiques et abiotiques.
– La plateforme FertiMap : Elle constitue un outil majeur dans la cartographie de la fertilité des sols cultivés au Maroc. Cet outil, lancé à partir d’analyses couvrant environ 7,8 millions d’hectares de terres agricoles, est disponible en ligne depuis 2015. FertiMap propose des recommandations de fertilisation localisées, adaptées aux régions et aux principales cultures. Elle permet une gestion raisonnée des intrants, et contribue à la performance agronomique et à la protection de l’environnement.
– Les solutions pour la santé des cultures : L’institut a mené des travaux de prospection, de diagnostic et de caractérisation des principaux ennemis des cultures, couvrant les filières de l’arboriculture (agrumes, palmier dattier, olivier, grenadier, caroubier, arganier, pommier, poirier, avocatier, cactus), des grandes cultures (céréales, légumineuses alimentaires, riz, betterave à sucre) et des cultures maraîchères (fruits rouges et légumes divers).
Ces recherches ont abouti à la mise au point de méthodes de lutte intégrée et de gestion éco-biologique, basées sur l’utilisation d’ennemis naturels, de biopesticides ou d’extraits de plantes médicinales. L’objectif est de réduire l’usage excessif des produits chimiques et d’assurer une protection efficace contre les maladies cryptogamiques, les ravageurs, et les affections des cultures en post-récolte et des céréales-légumineuses au stockage.
Dans quelle mesure la recherche scientifique peut-elle contribuer à réduire la dépendance du Maroc vis-à-vis des importations de semences, de céréales ou d’intrants stratégiques ?
Le développement de la filière semencière dans la stratégie Génération Green est une priorité car la souveraineté semencière et la sécurité alimentaire en sont tributaires. L’objectif est d’augmenter le taux d’utilisation des semences certifiés à environ 40% vers 2030 avec une contribution de 50 % de la semence nationale. Cette amélioration passe par l’enrichissement et le renouvellement du profil variétal, par la création et l’introduction d’une nouvelle génétique adaptée aux conditions agroécologiques marocaines, par la sécurisation des disponibilités en semences certifiées (priorité aux programmes de multiplication dans les zones irriguées). La superficie actuelle pour la production des semences au niveau national est estimée à environ 55 000 ha.
Le Maroc produit annuellement environ 1,5 millions de quintaux de semences certifiées ce qui ne permet d’emblaver qu’uniquement 20% de la superficie en céréales et moins de 9% en superficie des légumineuses alimentaires. La stratégie « Génération Green » prévoit d’augmenter l’utilisation des semences certifiées à 40% d’ici 2030 ce qui va nécessiter une production de plus de 3 millions de quintaux en semences certifiées.
Dans ce sens, l’INRA compte augmenter sa production 2027 pour atteindre une couverture du marché national de près de 50%.
C’est dans cette perspective que l’INRA a entamé un programme ambitieux de multiplication des semences depuis la campagne 2020-2021 pour répondre à la demande des sociétés semencières en semence de prébase (G1 et G2). Plus de 80 ha de multiplication des semences a été réalisée pour l’année 2024-2025 avec un portefolio variétal diversifié.
Les principales missions du nouveau programme multiplication des semences à l’INRA incluent :
- La multiplication de semences de prébase et de base;
- La collaboration avec des partenaires publics et privés pour la promotion des nouvelles variétés et l’incitation à l’utilisation des semences certifiées ;
- La formation et l’encadrement des agriculteurs sur les bonnes pratiques de production et d’utilisation des semences.
Dans l’optique de réaliser ces objectifs, l’INRA collabore étroitement avec les partenaires clés dont la SONACOS, l’ONSSA et la FNIS. La signature d’une convention tripartite entre l’INRA, la SONACOS et la FNIS constitue une étape clé dans la collaboration et la mise en place de plans d’action définis.
Avec la SONACOS, il s’agit d’harmoniser et de conjuguer les efforts pour l’évaluation des variétés et la mise en place d’un plan d’action de multiplication des variétés INRA sur les cinq prochaines années.
Avec l’ONSSA, il s’agit d’établir et de faciliter les procédures et l’intégration de nouvelles approches scientifiques dans les évaluations variétales, ainsi qu’à l’accélération de la mise à disposition de variétés performantes adaptées aux enjeux climatiques et agronomiques du pays.
Comment l’INRA accompagne-t-il, en pratique, les producteurs marocains dans l’adaptation aux nouvelles réglementations européennes (Green Deal, limites de résidus, traçabilité) ?
Il faudrait tout d’abord différencier le rôle de l’INRA en tant qu’institution de RD-I de celui de l’ONSSA qui veille au respect de la législation en matière de qualité sanitaire des aliments. Il convient également de mentionner Morocco Foodex qui accompagne les groupes exportateurs dans leurs obligations d’adaptation aux règlements des marchés de destination.
L’INRA pour sa part œuvre au développement des solutions pour limiter l’usage des pesticides en proposant des stratégies de lutte intégrée contre les maladies et ravageurs et pour limiter l’usage des herbicides comme les méthodes d’alertes précoces, l’usage de produits bio, le développement des insectes auxiliaires en les identifiant et les multipliant dans nos insectariums, le développement de méthodes culturales, le développement de variétés (et/ ou portes greffes) résistantes aux maladies et ravageurs …
Comment les producteurs agricoles peuvent-ils interagir avec vos services ? quels sont les canaux de communication mis en place pour faciliter la remontée d’information ?
Pour mieux couvrir le territoire agricole marocain, l’INRA s’appuie sur dix centres régionaux qui travaillent en synergie avec les acteurs locaux. Ces centres collaborent au quotidien avec les directions régionales de l’agriculture, les organisations professionnelles et la société civile pour faire avancer l’agriculture dans chaque région.
L’Institut participe activement aux débats régionaux sur le développement économique et environnemental, et se fait connaître du grand public grâce à ses publications régulières et ses événements sur le terrain comme les portes ouvertes et les salons.
Quand il s’agit de partager ses découvertes, l’INRA choisit des mots simples et des supports accessibles à tous : des fiches pratiques, des vidéos explicatives, des infographies… Le tout largement diffusé sur les réseaux sociaux. Cette approche donne souvent lieu à des demandes concrètes de formations, preuve que leur travail trouve un écho réel chez les agriculteurs.
Sur le terrain, les équipes de l’INRA tissent des liens précieux avec les acteurs locaux. Elles identifient les difficultés, testent des solutions et créent des ponts entre la recherche et les besoins des agriculteurs. L’idée est simple : associer les concernés dès le début, depuis l’identification des problèmes jusqu’à la mise en œuvre des solutions.
Les plateformes d’innovation sont devenues des lieux de rencontre essentiels où chercheurs et agriculteurs unissent leurs savoirs. Ensemble, ils analysent les situations, imaginent des réponses adaptées et évaluent les nouvelles technologies.
L’INRA organise aussi régulièrement des démonstrations pour tester en conditions réelles des solutions prometteuses. Qu’elles aient lieu dans ses domaines expérimentaux ou directement chez les agriculteurs, ces démonstrations permettent de vérifier l’efficacité des innovations, particulièrement pour les nouvelles semences.
Chaque année, près d’un millier de partenaires se retrouvent lors de ces journées de démonstration. Ces moments d’échange nourrissent le dialogue entre la recherche et le monde agricole, rapprochant un peu plus la science du terrain.
Quelles recherches sont actuellement menées pour promouvoir une agriculture plus durable (réduction de l’usage des pesticides, optimisation de l’irrigation, nouvelles variétés résistantes) ?
L’INRA mène actuellement plusieurs programmes de recherche visant à promouvoir une agriculture plus durable et résiliente :
- Réduction de l’usage des pesticides : développement de méthodes de lutte intégrée contre les ravageurs et maladies, utilisation de biocontrôles et de pratiques agroécologiques pour diminuer la dépendance aux produits chimiques.
- Optimisation de l’irrigation et gestion de l’eau : Vu que les réalisations dans ce domaine sont très diversifiées en fonction des cultures et des conditions édapho-climatiques, on donne les quelques exemples suivants :
- Détermination des besoins en eau des cultures : L’INRA a conduit beaucoup de travaux sur les besoins des cultures qui dépendent de l’évapotranspiration potentielle (ETP) de la région, du stade phénologique de la plante correspondant à un coefficient cultural, et des apports de pluies. En arboriculture, les besoins sont déterminés selon l’âge et la variété. Si on prend l’exemple du palmier dattier, le plant n’a besoin que de 5 m3 par an d’eau durant les deux premières années de plantation. Une fois entrée en production, ces besoins peuvent varier entre 30 et 60 m3/arbre/an, pour atteindre 80 m3/arbre/an en production de croisière.
- Irrigation déficitaire régulée : C’est une stratégie d’optimisation dans laquelle l’irrigation est appliquée aux cultures pendant les stades de croissance sensibles à la sécheresse. La restriction hydrique est appliquée aux stades phénologiques tolérants à la sécheresse, qui sont souvent les stades végétatifs et la période de maturation tardive. Chez l’olivier, il est possible de réduire de 20% la dose d’irrigation par rapport à la demande climatique au moment des périodes sensibles « Avril – 15 Juin » et « 15 Août – Fin Octobre », et de 30 à 40% pendant le reste du cycle (Phase non sensible « 15 juin – 15 Août »), sans pour autant induire une réduction significative des rendements en olive et en huile d’olive. Avec cette stratégie, il a été possible d’économiser 30% d’eau expérimentalement, soit près de 400 m3 d’eau par ha.
- Irrigation déficitaire continue (IDC) : Une IDC de 75% des besoins hydriques du palmier dattier au Haouz, a permis une économie d’eau de 25 % par rapport à l’irrigation conventionnelle, en gardant des rendements statistiquement similaires à ceux d’une irrigation non déficitaire.
- Irrigation d’appoint : Dite aussi irrigation supplémentaire, cette technique consiste à fournir de l’eau supplémentaire aux cultures pluviales pendant les périodes critiques afin de compenser un déficit de pluie. Sur le blé tendre en année sèche, un apport de 100 mm au tallage a doublé le rendement, et un second apport à l’épiaison l’a encore augmenté de 9 %. Sur l’olivier, une irrigation estivale de 500 l/arbre a permis d’améliorer la productivité de plus de 40 %.
- Optimisation des générateurs photovoltaïques en irrigation par énergie solaire : L’INRA développe des systèmes de pompage photovoltaïque performants, capable de fonctionner même en faible ensoleillement. Un dernier projet sur la gestion énergétique de ces systèmes a remporté le Grand Prix Hassan II pour l’invention et la recherche agricole en 2023.
- Développement de l’irrigation par goutteurs à basse pression : L’INRA a testé des goutteurs à basse pression (0,15 bar) conçus par le MIT sur l’olivier et les agrumes. Ces dispositifs ont réduit la consommation d’énergie hydraulique d’environ 43 à 44 % par rapport aux goutteurs classiques, sans altérer l’uniformité de l’irrigation.
- Développement de la nano-irrigation : Il s’agit d’un système à base de tubes à nanopores (Moistube) qui permet une diffusion de l’eau juste par la force de succion du sol. Des essais sur le quinoa et le bleu de panicum ont montré une économie d’eau notable pour le panicum et une production accrue pour les deux cultures.
- Développement d’outil de l’irrigation de précision : L’INRA a développé un kit innovant et à faible coût pour le suivi précis de l’humidité des sols, rendant cette technologie accessible aux petits exploitants. Le dispositif intègre des capteurs intelligents capables de mesurer non seulement l’humidité, mais aussi la température du sol et de l’air ainsi que certains paramètres climatiques. Ces données en temps réel permettent d’adapter l’irrigation de manière optimale et de détecter rapidement les zones à stress hydrique ou climatique. En plus de réduire le gaspillage d’eau, le kit améliore la gestion globale des cultures et favorise la durabilité agricole. Sa combinaison de précision, de polyvalence et de coût réduit en fait un outil particulièrement innovant pour l’agriculture moderne.
- Fertilisation raisonnée : En matière de fertilisation, nous avons noté plusieurs résultats concrets et diversifiés en fonction des cultures et des conditions édapho-climatiques. On cite à ce titre, pour le palmier dattier, l’apport d’une fumure composée de 1000g d’Azote/arbre, 500g de Phosphore/arbre et 1000g de potassium a été optimal pour les variétés Majhoul, Boufeggouss et Najda dans le Haouz. Cependant pour l’olivier, le raisonnement de la fertilisation basé sur les analyses foliaires a permis une nette amélioration de plus de 70% du rendement en olive et de plus de 6% du rendement en huile d’olive. Chez le Clémentinier Sidi Aissa greffée sur Citrus macrophylla, une fertilisation composée de 200 kg/ha d’Azote, 80 kg/ha de P2O5 et 200 kg/ha de K2O a maximisé le rendement (56,23 T/ha) avec une nette amélioration de la qualité des fruits. Sur oranger ‘Lane Late’ greffé sur Citrus volkameriana, c’est plutôt une fertilisation composée de 104 kg/ha d’Azote, 45 kg/ha de P2O5 et 60 kg/ha de K2O qui a permis une nette augmentation de 49 kg/arbre par rapport aux arbres témoins. Par ailleurs, un projet est en cours de mise en place sur la fertilisation raisonnée dans différentes régions du royaume (au moins 10 régions). Ce projet ambitieux permettra des normes d’interprétation des sols pour une fertilisation raisonnée par culture prioritaire et par région du Maroc, ainsi que des référentiels de fertilisation efficiente des cultures en fonction des principaux types de sol et système de cultures.
- Création de nouvelles variétés résistantes : sélection et amélioration génétique de cultures adaptées à la sécheresse, aux sols salins et aux conditions climatiques extrêmes.
L’INRA contribue à la mise en œuvre des principes de la Stratégie Génération Green 2020-2030, en accompagnant les orientations de cette stratégie, comme le précise le cadre de la feuille de route nationale pour la recherche et l’innovation agricoles. Parmi les objectifs de l’INRA, inscrits dans cette stratégie, figure le développement de 50 nouvelles variétés de céréales entre 2020 et 2030, en plus de l’augmentation de la productivité de 50 % durant la même période. À titre indicatif, la moyenne nationale actuelle est de 20 quintaux par hectare, et l’objectif est d’atteindre 30 quintaux par hectare à l’horizon 2030, à l’échelle nationale, tout en rationalisant l’utilisation de l’eau et en préservant les sols grâce à l’adoption du concept de l’agriculture de conservation.
Le développement de nouvelles variétés de céréales et de légumineuses résistantes à la sécheresse et aux changements climatiques nécessite plusieurs années de recherche et d’essais avant d’aboutir à une variété adaptée, offrant un rendement élevé et capable de s’adapter aux spécificités climatiques des différentes régions du pays. L’objectif est de répondre aux besoins des producteurs, de plus en plus demandeurs de variétés à haute productivité et de bonne qualité. En effet, la sécheresse est devenue une donnée structurelle au Maroc, ce qui impacte directement les cultures. Il devient donc indispensable de sélectionner et développer de nouvelles variétés de céréales et légumineuses résistantes à la sécheresse.
L’INRA a développé plusieurs variétés de céréales plus résilientes à la sécheresse (blé dur, blé tendre, orge, et avoine). Ces nouvelles variétés sont le fruit de plus de 10 ans de recherche, utilisant les ressources génétiques de grains ancestraux, collectés et conservés dans la Banque de gènes du Centre international de recherche agricole dans les zones arides à Rabat. L’objectif était de créer de nouvelles variétés plus capables de résister aux défis climatiques, tels que la sécheresse.
L’amélioration génétique demande de l’expertise, des semences de base, et du matériel génétique que l’on puise à travers notre banque de gènes et à travers notre partenariat au niveau nationale et internationale. On procède ainsi à des croisements au cours des années. Il s’agit d’un processus long qui peut aller jusqu’à 10 à 15 ans. Et c’est à travers ce processus que l’on sélectionne des plantes qui font preuve d’une plus grande résistance à la sécheresse.
- Agroécologie et diversification des systèmes agricoles : Semis direct, promotion de rotations culturales, agroforesterie, cultures de couverture et pratiques favorisant la fertilité des sols et la biodiversité. Des travaux ont montré que la conduite de l’olivier en mode agroforestier avec une culture du Quinoa améliore son rendement de 52% par rapport à l’oliveraie en monoculture et celui du quinoa de 41%, correspondant à un Rapport Equivalent Terre (Land Equivalent Ration – LER) toujours supérieur à 1, témoignant d’une meilleure efficience de l’utilisation de la terre. Par ailleurs, un projet est en cours de mise en place pour intensifier des pratiques agroforestières dans des régions vulnérables au stress climatique, visant principalement :
- Atteindre à l’horizon 2030, une superficie de 500 000 hectares en système agroforestier incluant différentes cultures (Caroubier, Cactus, Arganier, Olivier, Amandier, Pistachier, Atriplex, Acacia).
- Intégrer un total de 100 000 petits producteurs dans ce programme
- Une production de biomasse (bois et produits agricoles) augmentée de 20 à 40%, issue d’une augmentation de 20% de la productivité de la terre (Land Equivalent Ratio)
- Une réduction du stress hydrique via l’augmentation de la réserve utile en eau d’au moins 30%
- Une amélioration de la séquestration carbone d’au minimum 1 t/ha.
Ces recherches permettent à l’INRA de fournir des solutions concrètes aux producteurs pour améliorer la durabilité, la productivité et la résilience des systèmes agricoles marocains face aux défis environnementaux et climatiques.
Dans le domaine de la santé des plantes, les efforts pour réduire l’usage des pesticides et promouvoir une protection durable des cultures s’articulent autour de plusieurs axes :
- Inventaire et caractérisation des maladies et ravageurs émergents, afin de proposer des solutions écologiques adaptées.
- Mise au point de méthodes de lutte intégrée et biologique, recourant aux ennemis naturels, aux biopesticides et aux extraits de plantes.
- Identification et sélection de variétés résistantes aux maladies et ravageurs.
- Développement de pratiques post-récolte permettant de limiter l’utilisation de produits chimiques de conservation.
Quels dispositifs sont mis en place pour accélérer le transfert des résultats de recherche vers les PME agro-alimentaires ?
À travers ses partenariats de recherche et de développement, l’INRA collabore étroitement avec les PME agroalimentaires pour la mise au point, l’adaptation ou l’optimisation de technologies répondant à leurs besoins industriels. Chaque année, près d’une soixantaine de contrats sont conclus, traduisant une dynamique de coopération soutenue entre la recherche publique et le monde socio-économique et institutionnel. Fait marquant, près de 50 % de ces partenariats sont établis avec le secteur privé, illustrant la confiance et l’intérêt croissant des entreprises pour les résultats et l’expertise de l’Institut. Ces collaborations peuvent être bipartites ou s’inscrire dans des projets de plus grande envergure, associant des consortia nationaux ou internationaux.
Dans le cadre de la stratégie Génération Green, 19 contrats-programmes de filières sont proposés aux fédérations interprofessionnelles. Intégrant une composante recherche-développement, ces dispositifs offrent un cadre structurant pour co-construire des solutions innovantes répondant aux contraintes aussi bien à l’amont qu’à l’aval des filières agricoles et agroalimentaires.
L’INRA dispose aujourd’hui de laboratoires analytiques implantés dans plusieurs centres régionaux, et œuvre au développement de halles technologiques au sein des qualipôles d’alimentation mis en place par les pouvoirs publics dans les zones à fort potentiel de valorisation. Ces infrastructures permettent la réalisation d’analyses physico-chimiques et microbiologiques des produits agricoles, de tests de qualité technologique, d’essais expérimentaux de transformation, ainsi que d’études sur les procédés de conservation, de stockage et de réduction des pertes.
L’INRA contribue également à la caractérisation et à la typicité des produits en appui à la labellisation et aux signes distinctifs d’origine et de qualité (SDOQ), et participe aux jurys d’évaluation de la qualité. L’INRA a travaillé sur une vingtaine de SDOQ et animé 3 jurys régionaux, en plus du jury national spécialisé dans l’huile d’olive.
Par ailleurs, l’INRA dispose d’un portefeuille croissant de brevets, proposé à la valorisation à travers des partenariats pour leur exploitation. Dans la même dynamique, l’INRA développe une filiale dédiée à la valorisation et au transfert de ses résultats de recherche, et envisage dans un futur proche la création de start-ups ou de spin-offs en lien avec les PME agroalimentaires.
Enfin, dans le cadre de son programme institutionnel, l’INRA mène de nombreuses actions de diffusion et de démonstration, soit à son initiative, soit en partenariat avec les organismes de développement relevant du ministère de l’Agriculture. L’INRA participe activement aux plateformes d’échange entre chercheurs et industriels : salons professionnels, conférences, séminaires et est également membre d’associations d’innovation agroalimentaire telles qu’Agrinova.
L’INRA envisage-t-il de développer des incubateurs ou des partenariats public-privé afin de favoriser l’innovation industrielle à partir de la recherche ?
Dans la continuité de sa mission de valorisation de la recherche, l’INRA prévoit de renforcer les passerelles entre la recherche et l’industrie afin de favoriser l’émergence d’innovations technologiques à fort impact socio-économique. La mise en place d’incubateurs dédiés aux technologies agricoles et agroalimentaires constitue l’un des axes structurants de cette dynamique. Cette orientation se concrétise à travers les associations Agrinova implantées dans les qualipôles d’alimentation, véritables carrefours régionaux d’innovation. L’INRA y joue un rôle actif en apportant un mentorat technique aux porteurs de projets et jeunes entreprises, l’accès à ses plateformes analytiques et expérimentales, ainsi qu’un appui en formation, encadrement scientifique et veille technologique. Bien que cette expérience soit encore récente, elle se révèle hautement prometteuse pour le développement d’un écosystème d’innovation collaboratif entre chercheurs, industriels et acteurs territoriaux.
En parallèle, les partenariats avec les universités nationales offrent de nouvelles opportunités de co-valorisation des résultats de recherche, notamment à travers les cités d’innovation et les structures universitaires de transfert technologique. Ces collaborations renforcent la complémentarité entre la recherche publique et l’entrepreneuriat, tout en favorisant l’émergence de solutions adaptées aux besoins du marché.
Enfin, l’INRA entend poursuivre et intensifier son appui aux coopératives agricoles, en les accompagnant dans la modernisation de leurs procédés, l’amélioration de la qualité des produits et la valorisation des productions locales. Cet accompagnement s’inscrit dans une logique d’inclusion et de durabilité, en cohérence avec les objectifs de la stratégie Génération Green.
Quels sont, selon vous, les grands défis auxquels l’agriculture et l’agro-industrie marocaines devront faire face à l’horizon 2030 ?
À l’horizon 2030, l’agriculture et l’agro-industrie marocaines devront relever des défis à la fois locaux et d’échelle globale. Le premier concerne la rareté croissante des ressources hydriques dans un contexte de changement climatique qui touche toutes les régions du pays. Cette situation impose de repenser nos systèmes de production pour produire davantage avec moins d’eau, tout en préservant les sols et la biodiversité. L’innovation dans les techniques d’irrigation, le développement de variétés résistantes à la sécheresse et l’adoption de pratiques agroécologiques seront essentielles pour assurer la résilience de nos filières.
La souveraineté alimentaire et la sécurité nutritionnelle constituent un autre enjeu majeur. Bien que le Maroc ait réalisé des progrès notables, il reste dépendant de certaines importations, et donc vulnérable aux fluctuations des marchés mondiaux. Il s’agit alors de diversifier les cultures, valoriser les ressources locales, encourager les légumineuses et oléagineux et promouvoir des régimes alimentaires sains et durables. L’agro-industrie devra, elle aussi, se moderniser et monter en valeur. Nos filières disposent d’un fort potentiel, mais celui-ci reste parfois limité par le manque d’infrastructures adaptées à la transformation et au stockage.
Le défi humain reste central : le vieillissement de la population agricole et la faible attractivité du secteur pour les jeunes imposent de renforcer la formation, l’accompagnement entrepreneurial et l’inclusion des femmes. La stratégie Génération Green répond à cet enjeu en plaçant l’humain au cœur de la transition agricole, en encourageant l’entrepreneuriat rural et en soutenant les porteurs de projets innovants.
Enfin, l’intégration des technologies numériques, de la bioéconomie et des pratiques durables devient incontournable. La digitalisation, l’agriculture intelligente et la valorisation des coproduits sont des leviers essentiels pour un modèle agroalimentaire marocain résilient, compétitif et durable.
Comment percevez-vous l’évolution du rôle de l’INRA dans la consolidation de la souveraineté alimentaire et le renforcement de la compétitivité internationale du Maroc ?
L’INRA occupe aujourd’hui une place centrale dans la transformation du système agroalimentaire marocain. Son rôle dépasse la simple production de connaissances : il agit comme un acteur de développement intégré, reliant la recherche scientifique, l’innovation technologique et la valorisation économique des résultats.
Face aux défis de la rareté de l’eau, de la dégradation des sols et du changement climatique, l’Institut développe des solutions adaptées aux zones arides et semi-arides. Ses recherches ont permis d’améliorer la productivité, d’accroître l’efficience des intrants et de promouvoir une agriculture agroécologique conciliant performance et durabilité.
L’INRA fournit un appui scientifique stratégique aux décideurs et contribue activement aux grands programmes nationaux : multiplication des semences, réhabilitation du cactus, semis direct sur un million d’hectares, ou encore production de plants d’arganier et de palmier dattier.
L’ambition de l’INRA est de se positionner comme un centre d’excellence national et régional, fondé sur trois piliers :
- Une RD-I efficiente, orientée vers l’impact, la valorisation rapide des résultats et la collaboration public-privé ;
- Une gouvernance diligente et transparente, adaptée aux exigences de la recherche et fondée sur la performance et la redevabilité ;
- Ceci nécessite aussi le déploiement de moyens humains et financiers à la hauteur des ambitions, dans un contexte où le Maroc consacre environ 0,8 % du PIB à la R&D, contre plus de 2 % dans les pays de l’OCDE.
Parcours
Nommée Directrice générale de l’INRA le 12 mars 2025, le Pr Lamiae Ghaouti est spécialiste de l’amélioration génétique des plantes. Docteure en Agronomie de l’Université Georg-August de Göttingen (Allemagne, 2007), elle a reçu le prix Kurt von Rümker en 2009. Elle a débuté sa carrière comme sélectionneuse au sein de l’entreprise Nordeutsche Pflanzenzucht Hans-Georg Lemke en Allemagne.
Elle a ensuite rejoint l’IAV Hassan II en 2011, où elle a contribué à la formation d’ingénieurs et de doctorants, coordonné plusieurs projets de recherche nationaux et internationaux, et dirigé à partir de 2017 le Département Production, Protection et Biotechnologie Végétale. Membre du Comité consultatif du CIHEAM, elle a également pris en charge, depuis avril 2021, la Coopération, le Partenariat et le Développement à l’IAV Hassan II avant sa nomination à la tête de l’INRA.
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