M. Rachid Khattate, président de Maroc Lait

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La filière laitière contribue de manière significative à la sécurité alimentaire du pays 

La filière laitière au Maroc, pilier stratégique de l’économie agricole, se positionne comme un vecteur de stabilité sociale et de souveraineté alimentaire. Avec une capacité de production qui répond à près de 96 % des besoins nationaux et une organisation intégrée de collecte et de transformation, ce secteur mobilise 260 000 producteurs et des milliers de petits éleveurs implantés dans les zones rurales. Une dynamique essentielle pour l’économie locale. 

Dans ce contexte de forte demande et de défis climatiques, le président de Maroc Lait, M. Rachid Khattate,  revient dans cette interview sur les initiatives de son organisation pour renforcer la résilience du secteur, moderniser la production et garantir un approvisionnement de qualité.

Le secteur a généré un chiffre d’affaires de 13,5 milliards de dirhams en 2023 et assure 450 000 emplois permanents 

Tout d’abord, pouvez-vous nous donner un aperçu sur la filière laitière au Maroc aujourd’hui et ce qu’elle représente en quelques chiffres ?

La filière laitière au Maroc est un pilier essentiel de l’économie agricole, un levier de développement rural et un acteur central de la souveraineté alimentaire. Quelques chiffres illustrent son importance.

Le secteur compte 260 000 producteurs de lait, dont 70 % sont situés dans des périmètres irrigués. Parmi eux, 90 % sont de petits producteurs. Le cheptel productif s’élève à 1,6 million de têtes, avec 70 % de races améliorées ou croisées.

Le réseau de collecte est composé de 2 700 centres, dont 1 900 sont des coopératives. Le réseau industriel de transformation comprend 82 usines et petites unités agréées, avec 20 unités assurant 95 % du traitement de la production.

En 2023, la production nationale a atteint 1,96 milliard de litres, reflétant l’importance de cette filière pour l’économie nationale.

Quel est l’état de la filière et de son environnement économique, sociale et écologique ?

La filière laitière joue un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire du Maroc, couvrant 96 % de la demande en lait (contre 90 % en 2010). Le secteur a généré un chiffre d’affaires de 13,5 milliards de dirhams en 2023 et assure 450 000 emplois permanents.

Sur le plan social, cette filière contribue à freiner l’exode rural, permettant la fixation des populations dans les zones agricoles. Cela favorise le développement économique, tout en préservant l’environnement et en créant des écosystèmes propices à l’écotourisme et aux produits du terroir. Ces efforts améliorent également le bien-être des populations et des animaux dans ces régions.

N’était-ce pas déjà le rôle de la défunte FIMALAIT ? Quelles leçons ont été tirées de cette précédente expérience ?

FIMALAIT a été remplacée en raison de blocages dans la gestion, dus à quelques adhérents représentant moins de 10 % de la filière.

En créant Maroc Lait, la gouvernance a été améliorée. Tout en respectant la loi 03-12, régissant les interprofessions, les statuts et règlements intérieurs de Maroc Lait incluent des dispositions spécifiques pour éviter les situations de blocage déjà rencontrées au sein de l’ancienne Fédération.

Ces mesures garantissent une gestion plus fluide et participative de l’interprofession laitière. L’interprofession laitière fédère actuellement 86 % des producteurs laitiers au Maroc.

Pouvez-vous nous détailler les principales avancées obtenues grâce aux unités régionales d’encadrement laitier (UREL) et comment cela a impacté les éleveurs en 2024 ?

En 2023, six Unités Régionales d’Encadrement Laitiers (UREL) ont été mises en place. Ce nouveau concept de gouvernance de proximité remplit deux fonctions principales. D’une part, il s’agit de la transmission en continu sur le terrain des directives stratégiques du Conseil d’administration, alignées avec la Stratégie nationale sectorielle : Green Generation. D’autre part, les UREL assurent la remontée des informations en temps réel, en collectant les statistiques et les problématiques rencontrées par les éleveurs. Ces données sont ensuite synthétisées et transmises au Conseil d’administration ainsi qu’au ministère de tutelle.

En 2023, les six UREL ont mené plusieurs actions importantes. Elles ont réalisé un diagnostic approfondi de la situation des élevages laitiers à l’échelle régionale. De plus, elles ont élaboré, suivi et mis en œuvre des programmes d’encadrement spécifiques à chaque région. Par ailleurs, une coordination régionale a été mise en place avec les partenaires tels que les Directions Régionales de l’Agriculture (DRA), l’Office National du Conseil Agricole (ONCA), et l’Office National de Sécurité Sanitaire des Produits Alimentaires (ONSSA), dans le but de simplifier les procédures liées aux subventions, aux campagnes de vaccination et à l’accès aux crédits.

En 2024, les résultats obtenus sont particulièrement impressionnants. Pas moins de 25 organisations professionnelles ont été encadrées, tandis que 12 000 éleveurs ont bénéficié d’un accompagnement. Par ailleurs, 96 circuits d’insémination artificielle et 52 circuits de contrôle laitier ont été suivis. De plus, 66 journées de sensibilisation ont été organisées, accompagnées de 1 000 visites d’encadrement réalisées sur le terrain.

Avec l’expansion des programmes de formation en 2024, notamment pour les jeunes entrepreneurs et les éleveurs, comment Maroc Lait envisage-t-elle de continuer à améliorer les compétences du secteur ?

L’amélioration de la formation des éleveurs se concentrera sur deux axes principaux. Le premier concerne le lieu de formation. Il est prévu d’étendre le centre pédagogique au Lactopôle Ain Jamaa, tout en élargissant la couverture régionale avec des journées de formation adaptées aux spécificités locales de chaque région.

Le second axe concerne les programmes de formation. Avec l’accord du ministère, le centre pédagogique d’Ain Jamaa intégrera désormais des modules sur les nouvelles technologies, la rentabilité de l’élevage laitier et la protection de l’environnement. Des conventions ont également été signées avec des organismes marocains et internationaux, permettant d’accéder aux dernières avancées technologiques dans le domaine de l’élevage.

L’apport de Maroc Lait par rapport à la formation traditionnelle repose sur une approche complète qui combine théorie et pratique. Les stagiaires sont encadrés non seulement par des professeurs, mais aussi par des professionnels du secteur, assurant ainsi une formation de qualité.

L’amélioration génétique, via le Centre Régional d’Insémination Artificielle, est un pilier clé de la résilience du secteur. Quels résultats avez-vous déjà obtenus et quels sont vos objectifs à moyen terme ?

En plus des actions de terrain telles que l’insémination artificielle, le contrôle laitier et la génomique, le Centre Régional de l’Insémination Artificielle d’Ain Jemaa a pour ambition de produire 400 000 doses par an, répondant ainsi à 50 % des besoins nationaux en semences bovines, tout en respectant les standards internationaux.

L’objectif à terme est de couvrir l’intégralité des besoins nationaux avant la fin du Contrat Programme en 2030.

Les nouvelles conventions signées en 2024 marquent une étape importante. Comment ces initiatives contribuent-elles à renforcer la résilience et la productivité de la filière laitière au Maroc ?

Deux nouvelles conventions ont été signées le 4 octobre 2024. La première porte sur la délégation à Maroc Lait de la gestion du Centre National de l’Insémination Artificielle d’Ain Jemaa. La seconde concerne un projet de digitalisation de la filière laitière («SI»).

Ces conventions s’inscrivent dans le cadre du plan d’action à moyen terme élaboré en partenariat avec le ministère de tutelle. La gestion de l’insémination du cheptel par un centre sous la supervision de Maroc Lait constitue une étape essentielle pour renforcer la résilience de la filière. Une attention particulière est portée à la reproduction locale, afin de garantir la souveraineté alimentaire du pays, face aux limites des importations pour couvrir les besoins nationaux.

La digitalisation de la filière laitière représente également un levier clé pour l’État, Maroc Lait, les coopératives et les éleveurs. Cet outil permettra non seulement d’améliorer la visibilité des données pour les décideurs, mais aussi d’optimiser le suivi des activités et la rentabilité pour les éleveurs.

Face aux défis climatiques, comme la sécheresse, quelles mesures spécifiques avez-vous mises en place pour soutenir les éleveurs et maintenir la durabilité de la production laitière ?

Face aux multiples crises que traverse la filière laitière depuis 2020, telles que le stress hydrique, la hausse des prix des intrants, les séquelles de la pandémie de Covid-19 et les perturbations du marché, des mesures significatives ont été mises en place pour garantir un approvisionnement régulier du marché et soutenir les éleveurs.

Au niveau du Ministère de l’Agriculture, de la Pêche Maritime, du Développement Rural et des Eaux et Forêts, plusieurs actions ont été entreprises. La subvention continue des aliments composés pour vaches laitières, en vigueur depuis mars 2022, se poursuit. En 2023, une exonération de la TVA sur l’importation des aliments simples et des fourrages a été appliquée, bien que suspendue en 2024, elle est demandée pour 2025. Le ministère subventionne également les jeunes velles, tant importées que produites localement, et a soutenu l’importation de 20 000 génisses de races laitières.

De son côté, Maroc Lait a augmenté de plus de 30 % les prix payés aux éleveurs pour les aider à faire face à la hausse des prix des aliments, tout en les encourageant à maintenir leur activité de production laitière. L’organisation veille également à assurer un suivi rigoureux de la production laitière et de sa commercialisation, afin de garantir l’approvisionnement régulier du marché. Toutes ces mesures s’ajoutent aux initiatives précédemment mises en œuvre, telles que le lancement des six unités régionales d’encadrement laitier, les programmes de formation et l’amélioration génétique du cheptel.

Comment Maroc Lait s’assure-t-elle de répondre aux attentes des consommateurs en matière de qualité, de durabilité et de sécurité alimentaire, tout en maintenant une production compétitive ?

Cette question met en lumière trois paramètres essentiels.

Le premier concerne l’approvisionnement régulier du marché. Depuis les tensions exceptionnelles sur l’offre constatées en novembre 2022, Maroc Lait, en collaboration avec l’État, a mis en place des mécanismes garantissant une réponse continue à la demande. Depuis la fin 2022, aucune perturbation dans l’offre de produits laitiers n’a été enregistrée, y compris durant les mois de Ramadan, période de forte consommation.

Le second paramètre porte sur la qualité, la durabilité et la sécurité alimentaire. Produisant un bien de consommation quotidienne hautement sensible, la filière ne peut se permettre aucune erreur. Chaque étape de la chaîne de production est sécurisée grâce à des procédures préventives, sous la supervision des directions de la qualité et de la sécurité, ainsi que de l’ONSSA. Toutefois, comme d’autres secteurs, l’interprofession est la cible de fausses informations nuisibles circulant sur les réseaux sociaux. Face à cela, le gouvernement a pris conscience de l’ampleur du problème et travaille sur un projet de réglementation en cours.

Enfin, la production compétitive constitue le troisième enjeu majeur. Chaque opérateur développe des stratégies spécifiques pour rester performant tout en tenant compte des besoins du consommateur et des contraintes liées au pouvoir d’achat. La compétitivité reste un objectif fondamental pour l’ensemble de la filière.

Quels sont les principaux défis auxquels est confrontée la filière laitière au Maroc aujourd’hui, et quelles sont vos priorités pour y faire face dans les années à venir ?

Les principaux défis actuels se concentrent sur deux axes majeurs.

Le premier défi est la sécheresse prolongée, qui a un impact significatif sur le niveau de remplissage des barrages et des nappes phréatiques, entraînant une hausse du coût des aliments, représentant jusqu’à 70 % du prix de revient. Dans l’attente du retour des pluies, des initiatives sont en cours pour développer des fourrages économes en eau ainsi que des rations sèches. Parallèlement, le gouvernement progresse dans la mise en place de nouvelles infrastructures hydrauliques afin de pallier la rareté de l’eau.

Le second défi est la fluctuation de la consommation, créant un déséquilibre entre l’offre et la demande. Pour y remédier, une collaboration avec le ministère de tutelle est en cours pour développer des actions à l’export et mettre en place des mesures de soutien financier pour le séchage du lait. Ces initiatives permettent de maintenir la collecte auprès des fermiers, même lors des périodes de baisse de la demande.

Malgré ces défis, l’avenir s’annonce prometteur, soutenu par les grands projets en cours dans le pays et par la détermination des adhérents et employés à atteindre les objectifs de la stratégie «Generation Green».

Parcours

M. Rachid Khattat cumule plus de 25 ans d’expérience dans l’industrie agroalimentaire et la grande distribution, ayant occupé des postes stratégiques au Maroc et à l’international. Il débute sa carrière en tant que Supply Chain Manager chez Unilever, où il évolue dans plusieurs pays entre 1995 et 2005. Il devient ensuite Corporate Affairs Manager pour Nestlé Maghreb de 2008 à 2010, puis dirige Nestlé Tunisie de 2010 à 2015. De 2015 à 2020, il occupe le poste de Head of HR pour Nestlé Maghreb, avant de rejoindre la Société Internationale Promotion Immobilière en tant que responsable des ressources humaines de 2020 à 2022. Depuis décembre 2022, il est Secrétaire Général de Centrale Danone. En octobre 2023, M. Khattat est élu président de la Fédération Interprofessionnelle de la Filière Laitière « Maroc Lait », conformément au mode de gouvernance de cette organisation.


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